– Semaine du 5 février 2024

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À L’AGENDA

  • 8 février – portes ouvertes au Collégial
  • 15 févrierVisionnement du film Richelieu de Pier-Philippe Chevigny

Littérature

Paroles et chansons

Par le fabuleux Carl Perrault

En l’honneur de la visite à Montréal de Pierre Bayard, qui pratique une forme de critique littéraire ludique et réjouissante (allez lire Comment parler des livres qu’on n’a pas lus, Le plagiat par anticipation, Œdipe n’est pas coupable et Hitchcock s’est trompé), nous avons trouvé cinq références intertextuelles surprenantes en écoutant attentivement les paroles des chansons en lice à la deuxième édition du Prix collégial de la chanson de l’année. Bienvenue dans le merveilleux monde de la surinterprétation!

Francis Degrandpré, Colorado

Cette chanson country qui semble faire l’apologie de l’alcoolisme présente, quand on s’y attarde, une référence judicieuse à l’existentialisme sartrien : « Quand tu te pointes sur le bord du feu avec tes cheveux blonds / Quand tu me regardes c’est l’enfer. » Impossible de ne pas penser au personnage d’Estelle, blonde sulfureuse de la pièce Huis clos, dont le regard torture la sadique Inès et le lâche Garcin pour l’éternité. Degrandpré fait ici brillamment allusion à la célèbre réplique « L’enfer, c’est les autres ». La consommation d’alcool excessive du locuteur devient donc l’unique façon de fuir la torture du jugement de l’autre, les flammes du feu de camp lui rappelant qu’il est déjà en enfer.

 

Jeanick Fournier, Dans la peau

Au premier abord, cette chanson disco accrocheuse semble simplement présenter une déclaration d’amour, mais détrompez-vous! C’est une réactualisation subtile du roman Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley. Le premier couplet décrit avec enthousiasme le moment où la créature est ramenée à la vie lors d’un orage (rappelez-vous le célèbre It’s alive! du film de James Whale de 1931) : « Quand la foudre est tombée, c’est toi qu’elle a touchée. » Frankenstein, incarnation du mythe de Prométhée, est un savant fou ayant outrepassé, comme Oppenheimer, son statut en jouant à Dieu, ce que Jeanick Fournier exprime savamment dans le refrain : « Avec toi, je veux aller plus haut / À en perdre les mots. » Dans cette optique, elle présente le caractère destructeur et dogmatique du personnage aveuglé par son orgueil : « Sans compromis je peux avancer. » Chapeau, Jeanick!

 

Phil G. Smith, Toujours la même histoire

 

 

 

 

Les plus cyniques d’entre vous prétendront que le titre de cette chanson évoque les sempiternels lieux communs des chansons country : rouler en pick-up, boire une bière avec ses chums… Grave erreur! Ce texte présente plutôt l’angoisse épicurienne du temps qui passe telle que formulée par Horace avec son célèbre Carpe diem. Digne héritier de Ronsard et des poètes baroques, Phil G. Smith est amèrement conscient du temps qui passe et du caractère éphémère de l’existence : « Dis-moi, qu’est-ce qu’on attend / Pour remonter au camp / Au jour le jour, au gré du vent / Tant qu’on est encore vivants? » Le titre « Toujours la même histoire » nous renvoie donc au thème qui jalonne toute la création artistique depuis la nuit des temps : la conscience aiguë de la mort. C’est un sublime memento mori, une vanité country.

 

Roxane Bruneau, Partout

 

 

 

 

Ses petits cocos peuvent se vanter d’avoir une magnifique vulgarisation de la physique quantique et de la théorie du chat de Schrödinger dans le refrain : « On est partout et nulle part à la fois. » Le chat dans la boîte est à la fois vivant et mort, partout et nulle part. Toutefois, les connaissances en astronomie de l’interprète d’À ma manière n’auraient pas fait la fierté d’Hubert Reeves : « Si l’soleil vient qu’à s’éteindre / Est-ce qu’on le remarquerait vraiment? » Oui, la vie sur terre serait éradiquée en quelques minutes.

 

Julie Aubé, Le temps des mûres

 

 

 

 

À la Renaissance, Joachim du Bellay évoquait Ulysse pour parler avec nostalgie de son retour à la maison. Pour Julie Aubé, un retour à la maison, c’est : « la brise sur ma peau / salade de chou to-go / de retour chez nous. » Cette synesthésie qui met en relation le stimulus tactile du vent et le goût mi-acidulé, mi-sucré de la salade de chou est digne des « Correspondances » de Baudelaire : « Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies… » Reste maintenant à savoir si la salade de chou est crémeuse ou traditionnelle pour pleinement goûter la synesthésie dans toute sa richesse.

À VOIR…
c’est bon pour votre culture !

À L’AFFICHE

Ma Saigon – le nouveau film de Khoa Lê (ALC 2005)

 

PARCE QUE RIRE…
c’est bon pour le moral

On reprend du service!

Bon début de session!